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Pays des routes lentes

 

Mon père est né le 28 février 1943.

 

Il travaillait aux ponts et chaussées.

Il était conducteur de travaux.

Comme il dit, il a « fait » - au sens fabriqué – beaucoup de routes.

 

Mon fils est né Le 26 février 2007.

Il est né au-delà  du terme.

Trois semaines de plus que prévu.

 

Peut-être que mon fils a essayé de naître à la même date que son grand-père – le 28 février ?

 

Lorsque j’ai fait une dépression, j'avais 49 ans.

C’était huit ans après la naissance de mon fils .

Entre 1973 et 1984.

Je suis venu en vacances avec mes frères et mes parents dans les monts Dore. Chaque mois d’août.

Les nuits blanches de surexcitation la veille.

La joie de la fenêtre lorsque les premiers bourrelets bleuis des monts.

Le beurre salé et la confiture de myrtille préparés sur la tranche lente.

Le choc gras du café.

L'énergie sèche qui vient.

La route des aubes.

Les nuages francs au fil des blancs, des nudités à bosse, du lac comme un oubli.

Puis les pas.

La petite puissance de fendre les herbes floues et sursauteuses.

Le genou fort à l'arrivée.

Les mains de silence.

Le lancer.

Le fil sure.

Son signe sur l'aveugle du lisse.

Une truite peut-être dans le fracas des ombres.

Elle ira bien plus vite que mon regard.

Mais ce rond qui onde.

L'espoir.

Être comme un grand géant d'avoir attraper.

Et peut-être.

D'attraper ce peut-être.

Et d'en finir avec lui, le peut-être.

Et d'enfin être mon pouvoir.

Mon fait.

Mon majeur magicien.

Pêcher mon animal.

,

Lorsque mon fils « refusait » d’arriver au monde, lorsqu’il préférait rester au chaud dans le ventre de sa mère.

Avec ma femme, nous voulions le faire sortir, déclencher.

Nous roulions sur les petites routes tortueuses dans la montagne.

Malgré les vibrations, les soubresauts, les girations accentuées – rien n’y a fait.

Mon fils à 12 ans à présent.

Il est né à Aurillac. Il a été élève à la « petite » école de Dienne dans la vallée de la Santoire.

Aujourd'hui, il est au collège d’Allanche. 

Nous venions d’être mutés.

Nous roulions.

Nous cherchions un lieu pour vivre.

Dans le virage, la vallée de la Santoire s’est offerte en majestée.

Ma femme a dit - c’est là.

Lorsque nous revenions de vacances d’Auvergne, sur le dernier tronçon de la route, à l’approche de notre village dortoir de la région parisienne.

Mon père faisait les commentaires. 

Là, l’herbe des bas-côtés pas coupée.

Là, les enrobés mal faits.

Là, les trous mal bouchés sur le bitume.

Entre le travail à Aurillac, les activités associatives et ma famille. Sans oublier la construction de la maison à deux avec ma femme.

Cela fait 18 ans.

18 ans aussi de norias entre ici et Aurillac où je travaille.

L’hiver par Murat.

L’été par le col.

Pour moi, de la chaîne des Dômes jusqu’à L’Aubrac, en passant par le Cézallier, la Margeride, les monts Dore, les monts du Cantal, La Planèze, l’Artense  – pour moi c’est le même pays.

Je suis de ce pays.

Je ne suis pas auvergnat mais je suis de ce pays.

Dans quelques jours c’est  la Rentrée.

Nous sommes sur la route du  retour.

Le petit matin siffle contre l’Ami 6.

Mon père conduit. 

La radio parlotte.

Ma mère échange en pointillé avec mon père.

Avec mes frères nous luttons contre le sommeil et contre l’amertume de la « reprise » qui s’annonce.

Une plainte.

Cela vient bien de son coin à lui. 

Mon petit frère.

Lui, si secret.

Mes parents – mais qu’est-ce que t’as cadet ? Mais pourquoi tu pleures ?

Lui – Je suis triste … Je veux pas rentrer. Je veux pas partir de l’Auvergne. J’étais bien en Auvergne.

Je crois bien que mon autre frère et moi – on chiale aussi.

Je ne marchais plus je ne faisais que « rouler ».

Pris par la vitesse.

Si  je traduis l’expression anglaise – burn out – je m’en suis éteint.

Ce pays peut faire peur.

C’est son vide.

Je crois que multiplier les fronts de mon activité – c’était aussi une réponse au vide.

Le petit garçon qui marchait dans les Mont Dore entre 1973 et 1984, qui y cueillait des myrtilles, qui y péchait la truite, le petit garçon m’a repris la main et dit " arrête, Tu vas trop vite pour moi".

Ce pays me rend heureux. Toujours.

Ici la perte du temps, le vide. La dissolution. Ça peut exister. Mais tout autant ça peut ne pas du tout.

J’aime voir mes enfants marcher, rouler, évoluer dans ce pays.

Je me vois en eux.

J’aime aussi sentir ma femme à mes côtés.

J’aime le regard de parents que l’on partage sur eux.

Je marchais à nouveau.

Je roulais en voiture.

Mais beaucoup moins.

J’étais très vite anxieux et lourdement lasse.

J’allais et venais en voiture essentiellement pour le travail. J’écoutais beaucoup de piano dans la voiture.

Je m’arrêtais sur les parkings.

Je me sentais au bord. Du flux de la circulation, des autres, de ma fatigue.

Parfois je respirais lentement. Parfois je dormais.

Je ne pouvais plus écouter les informations à la radio.

Je m’écoutais.

Lorsque je marche parfois ma femme vient et me tient la main.

Parfois mes filles et mon fils m’accompagnent pour cueillir des jonquilles ou des champignons.

Le chien vient à chaque fois. Il ne semble attendre tout le jour que cela.

Mon père est à la retraite. Il dit qu’il ne veut plus conduire. Il l’a trop fait.

Mon fils s’est acheté un vélo. Il aime surtout descendre la côte depuis chez nous.

Lorsqu’il en revient, les joues cramoisies par l’effort de la remontée, il est plein d’un petit orgueil de coq.

Il l’a faite la « Côte de chez Nous ». Sans s’arrêter. Sans mettre un pied à terre.

J’ai refait du vélo avec lui.

Vers Lavigerie.

Il a fallu revenir et monter la côte.

Dans le dernier virage, j'ai du mettre pied à terre.

Et j'ai bien vu mon fils filer devant moi.

Me laisser sur place.

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